Coacher par le jeu

Coacher par le jeu

Le jeu a souvent eu mauvaise presse…  Du XVIIe au XXIe siècle, penseurs et philosophes lui prêtent tous les vices : fuite de la réalité, diabolisme, esquive morale, appauvrissement de la pensée, et plus récemment dans leur version vidéoludique, apologie de la violence. Tout au plus lui accorde-t-on quelques qualités intellectuelles, pédagogiques, tout en le restreignant le plus souvent au monde de l’enfance.
A l’heure des serious games, le discours s’infléchit légèrement… mais sert un argumentaire marketing souvent dénué de fondement.
Pourtant, Schiller pense que « l’homme n’est pleinement Homme que lorsqu’il joue »[1]. Si jouer est une activité profondément humaine, tout au long de sa vie, pourquoi ne pas s’en servir comme d’un outil pour coacher l’humain ?

Faire tomber les masques
Avez-vous déjà observé des joueurs, rassemblés autour d’une partie de Monopoly, de poker, autour d’un jeu de stratégie ? Les enseignements sont si nombreux à tirer, pour un observateur attentif… Un adage attribué à Platon dit d’ailleurs qu’ « on peut en savoir plus sur quelqu’un en une heure de jeu qu’en une année de conversation ». Voilà une porte d’entrée bien intéressante pour un coach, et bien sûr, pour un joueur que l’on accompagnerait habilement dans l’auto-analyse de son comportement. Le jeu du carré parfait, ou du bateau, en sont de parfaits exemples.
S’ils permettent parfois de gagner du temps, et d’ouvrir un accès direct au décryptage de certains comportements, ou de nos relations à autrui, c’est parce que les jeux fonctionnent un peu comme les cartes à tirer, les photos à choisir et à commenter : ils permettent d’éviter la « porte mentale », les barrières rationnelles que l’on se met à soi-même, en proposant une forme de diversion. Ils permettent aussi d’atténuer une obligation sociale, posturale. Si je joue, je reviens en enfance, et tout cela est « pour de faux ». Il n’est plus forcément nécessaire de tenir ma posture de manager, de sachant… les barrières, les freins se lèvent plus facilement, dans cette parenthèse ludique qui génère à la fois de la Protection, et de la Permission.

Protection et expérimentation
S’il y a, en général, peu de place pour l’erreur dans nos vies professionnelles… dans le jeu, elle a toute sa place ! L’activité ludique peut être suspendue, la partie recommencée à tout moment. L’enfant crie « Pouce ! », l’adulte quitte la table de jeu… et y revient plus tard, pour réessayer, encore, et apprendre ; apprendre que le ratage est une condition de la réussite ; apprendre à perdre, à s’autoriser les échecs, à les faire fructifier.
Parce qu’il crée les conditions de Protection suffisantes, le jeu est l’allié du coach, qui accompagne son client vers de nouvelles représentations, des tentatives, des expérimentations.
D’autre part, la contrainte des règles propre à tout jeu stimule la créativité du coaché. Il peut élaborer ses stratégies, tester des options, prendre des décisions. Il pourra prendre le risque d’engager une alliance fructueuse avec l’Autre joueur… ou de s’en protéger.
Le coach l’aidera ensuite à transposer ces nouvelles représentations ou décisions dans la vie réelle, et à les mettre concrètement en œuvre.

Jeu de rôle et symbolisation
Les jeux symboliques chez l’enfant sont les jeux de rôle, de faire semblant, d’imitation, et les pédopsychiatres en connaissent les vertus thérapeutiques  et pour le développement de l’enfant[2]. Mais il serait dommage de limiter cette fonction au monde de la puériculture. J’ai vu des coachs travailler au moyen de jeux de rôles et de théâtre avec des adultes bloqués par un problème, les faire rejouer une situation relationnelle pour la dépasser, ou bien les faire se projeter dans une situation de succès – parfois en combinaison avec des ancrages PNL-, avec des résultats étonnants. Probablement parce que comme l’écrit René Roussillon, « le jeu est action (…) mais il est aussi, et dans le même mouvement, travail de mise en représentation »[3]
Le jeu théâtral est un merveilleux outil pour soutenir une dynamique de changement, qu’elle soit vécue en individuel ou en équipe.
Revenir à ces ruses enfantines pour retrouver sa liberté d’imagination (« on dirait que je serais cela, et que j’aurais réussi ceci »), ouvrir de nouvelles voies, et changer concrètement des choses dans sa vie, c’est redécouvrir une puissance oubliée, qui ne demande qu’à s’exprimer à nouveau.

Leibniz voyait dans le jeu de Go « non seulement un art mais la construction d’un monde où s’enchaînent les possibles »[4]. Le jeu est toujours aujourd’hui, dans ses formes les plus abouties, le lieu d’expériences uniques, espace d’innovation et de création. Ses modes les plus immersifs – du jeu de stratégie en équipe, au jeu vidéo en réseau, et à la réalité virtuelle – permettent d’explorer des modes de collaboration, d’interaction inédits. Mais c’est aussi un chemin d’exploration du monde, de ses relations à autrui, et de soi-même. Henriot, philosophe et spécialiste du jeu, dit que « Pour jouer, il faut être à distance de soi, prendre conscience de soi, à la fois dans ce qu’on est, et dans ce que l’on veut être« [5]. N’est-ce-pas cette lucidité et cette position « méta » que tout coach souhaite à son client, ainsi que pour lui-même ?

Alors jouons, encore et encore, en tant que coachs professionnels certifiés, avec nos clients, et avec nos certitudes ! Nous n’aurons pas honte, car après tout comme disait Lewis Carroll, « c’était un homme sérieux, il passait son temps à jouer ».

 

[1] Friedrich von Schiller, Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme.

[2] Maryse Métra, mémoire UFAIS Lyon, Le jeu dans le développement affectif, cognitif, corporel et social de l’enfant.

[3] René Roussillon, Thérapie psychomotrice, 1993, n° 98

[4] Karine Safa, newsletter Time to Philo  Leibniz joueur de Go.

[5] Jacques Henriot, Sous couleur de jouer : la métaphore ludique.

Cet article a 2 commentaires

  1. BrianFance

    Wow cuz this is very good job! Congrats and keep it up.

  2. Jamessoobe

    I enjoy browsing your internet site. Cheers!

Laisser un commentaire

Secured By miniOrange